📚 Reinventing Organizations, Frédéric Laloux : l'évolution du monde du travail en 5 étapes

Ce livre part d’un constat sans appel : quelque chose ne va plus dans notre manière de travailler. Frédéric Laloux relève un défi audacieux : rechercher les signes d’un nouveau modèle plus juste et plus à même de répondre aux attentes des collaborateurs. Des enseignements pour les nouveaux managers.

📚 Reinventing Organizations, Frédéric Laloux : l'évolution du monde du travail en 5 étapes

Désengagement massif des salariés, perte de sens du travail, crise écologique…

Ce livre part d’un constat sans appel et de plus en plus partagé : quelque chose ne va plus dans notre manière de diriger les organisations. Dans le paradigme actuel de l’innovation constante et du productivisme, notre modèle semble en effet à bout de souffle.

Pourtant, plutôt que se contenter d’une description pessimiste des écueils dans lesquels nous nous trouvons, Frédéric Laloux relève dans cet ouvrage un défi audacieux : rechercher dans plusieurs entreprises et associations d’aujourd’hui les signes de l’émergence d’un nouveau modèle d’organisation, plus juste, et surtout plus à même de répondre aux attentes des collaborateurs.

Après une description des modèles d’organisation successifs qui ont émaillé l’histoire de l’humanité, l’auteur en vient au niveau type d'organisation dont il pressent l’émergence : le stade Opale.

Cet ouvrage peut aider les managers de nouvelles équipes en comprenant les mécaniques profondes de la collaboration entre humains à travers les époques et y déceler de bonnes pratiques à mettre en place.

Voyons cela de plus près.

Frédéric Laloux reprend ici un postulat partagé par de nombreux anthropologues et philosophes spécialistes de l’histoire de l’humanité : cette dernière n’évolue pas de façon continue, mais par bonds. Qu’il s’agisse des capacités cognitives, de la croissance économique ou du progrès technique, il est ainsi possible de dégager de grandes étapes du développement humain : âge tribal, agricole, scientifico-industriel et ainsi de suite. Là où l’auteur innove, c’est qu’il applique cette grille de lecture à un aspect jusque là largement négligé : la façon dont les humains collaborent. De la même façon que l’humanité a progressé dans d’autres domaines, il trace ainsi les traits d’idéaux-types successifs de nos modèles organisationnels, qu’il identifie par des couleurs.

🥊 Le stade impulsif ou celui du chef : la vision Rouge du monde.

Pendant plusieurs milliers d’années, l’humanité reste organisée en petits groupes, tribus ou clans ne dépassant pas quelques dizaines ou centaines de membres. Du fait de leurs tailles modestes, ces groupes ne disposent pas encore de liens sociaux très complexes, et peuvent donc se passer des structures de pouvoir et de contrôle qui vont avec. Si les anciens sont traités avec respect car ils rappellent la règle commune, le pouvoir est encore essentiellement transcendant : l’ordre social est donné, et les pouvoirs politique et religieux restent indissociables. Il n’y a pas encore de hiérarchie et de répartition du travail, et donc pas d’organisation à proprement parler.

C’est alors qu’il y a environ 10 000 ans, des sociétés de plusieurs milliers d’individus commencent à se former, faisant ainsi entrer l’humanité dans le stade Impulsif Rouge. Face à cette complexité nouvelle, les sociétés donnent alors naissance à une figure inédite : celle du chef. Cette transition est fondamentale, car l’origine du pouvoir est désormais immanente : si l’évocation divine permet de donner une légitimité au pouvoir du chef, celui-ci est désormais lui-même à l’origine des lois qui régissent le corps social, et n’a plus pour seule fonction de rappeler la règle éternelle. Autrement dit, la politique est désormais l’affaire des hommes.

Toutefois, puisque la loi n’est pas encore intériorisée par tous et que l’incertitude quant à la survie même du groupe est très forte, l’ordre et la violence sont au fondement des pratiques politiques, ce que l’auteur désigne sous le terme d’impulsivité. La loyauté et la peur du chef sont donc les valeurs clé d’un tel paradigme. Si la brutalité d’un tel type d’organisation semble repoussante, il convient aussi de prendre compte sa forte capacité d’innovation et d’adaptation : les tribus quittent leur habitat ancestral pour explorer de nouvelles terres, et, surtout, le chef peut être renversé par les jeunes dès qu’il montre des signes de faiblesse ou délaisse le groupe dont il a la charge.

Les deux principales avancées permises par ce nouveau type d’organisation sont la division du travail et l’autorité hiérarchique, qui ont permis aux groupes humains d’affronter des niveaux de complexité inédits. L’exemple typique des organisations Rouges dans le monde actuel est la Mafia ou le gang, dans lesquels le chef dispose d’un pouvoir incontesté et fonde son autorité sur la peur et la loyauté qu’il inspire.

🏰 Le stade conformiste ou la hiérarchie : la vision Ambre du monde.

Environ 4000 ans avant notre ère, les sociétés agraires du mode Rouge deviennent définitivement sédentaires et commencent à se stratifier en classes distinctes. La division du travail devient ainsi le fondement même de l’ordre social, dont les membres se répartissent entre la noblesse guerrière, le clergé et la masse populaire des paysans. Au niveau des organisations mêmes, cette étape marque le passage du clan ou du proto-empire à des formes plus modernes de communauté politique : empire, cité, et plus tard État.

Du point de vue des individus, l’avancée majeure est l’intériorisation des normes sociales, qui permet d’aller au-delà de l’impulsivité du stade Rouge : les membres de la société pratiquent avant tout l’auto-discipline, et chacun s’efforce de s’intégrer sur la base de croyances et de valeurs communes.

Un tel modèle d’organisation a constitué une étape décisive car il a d’abord permis, via l’instauration de processus reproductibles, de créer des organisations pérennes survivant à leurs créateurs, permettant donc d’envisager des oeuvres de grande envergure, à l’image des cathédrales et des pyramides. A titre d’exemple, la personne du souverain se distingue de son pouvoir : ce n’est plus à une personne qu’on obéit en tant que telle, mais à l’institution immatérielle qu’elle incarne, la Couronne. Le pouvoir s’installe ainsi dans le temps au-delà de son propriétaire momentané. Ce stade se caractérise également par le fondement de hiérarchies stables et pyramidales, autorisant ainsi une efficacité jusqu’alors inégalée. L’exemple contemporain le plus parlant d’un tel type d’organisation est l’Eglise catholique romaine : les prêtres, évêques, archevêques, cardinaux et enfin le pape s’inscrivent tous dans une hiérarchie aux règles strictes et particulièrement stable dans le temps.

🚀 Le stade de la réussite ou la méritocratie : La vision Orange du monde.

La vision Ambre du monde se caractérise par sa longévité, car la stabilité et la permanence sont précisément au coeur de ses principes de fonctionnement. Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle, à l’aube de l’industrialisation et des grandes révolutions politiques et scientifiques, que commence à émerger une vision radicalement différente de la société : le stade Orange. Ce changement de pratiques s’accompagne d’une conception philosophique elle aussi nouvelle : le monde n’est plus perçu comme un ensemble de règles immuables mais comme un système complexe dont on peut -et dont on doit- découvrir les rouages. Cette vision positiviste a pour corollaire une compétition inédite entre les individus : comme l’explique l’auteur : “...si je me montre plus rapide, plus intelligent et plus novateur que les autres, j’aurai plus de succès, de richesse, de profit, de part de marché”.

Ce stade est également celui où naît l’entreprise moderne, fondée sur une rationalisation des fonctions et un but affiché de productivité et de profits maximaux. Avec le triomphe de la science moderne, l’entreprise elle-même est alors conçue comme une machine, comme en témoigne le jargon utilisé pour en parler : “unités et niveaux, entrées et sorties, rendement et efficacité”. L’avancée principale de ce modèle est d’avoir créé les conditions nécessaires à l’innovation : puisque le monde n’est pas une entité stable et immuable, il est possible de trouver des procédés plus efficaces, de progresser plus vite que ses concurrents. Les corollaires de cette avancée sont la méritocratie et l’individualisme : chacun a le potentiel de parvenir au sommet de l’organisation, qu’elle soit politique ou économique, s’il en montre les capacités.

Les exemples d’un tel type d’organisation ne sont pas difficiles à trouver, puisque la majorité des grands groupes mondiaux sont fondés sur ce modèle. Malgré les avancées décisives qu’il a permis sur le plan organisationnel, le stade Orange a aussi ouvert la voie au consumérisme, au progrès pour le progrès et aux inégalités qui sont à l’origine des crises environnementales et sociales que nous connaissons aujourd’hui. Sur le plan humain, ce stade est aussi celui de l’argent roi et de la “réussite” individuelle comme seuls moteurs d’action.

♻️ Le stade pluraliste ou celui du partage : La vision Verte du monde.

Face aux limites du stade Orange se développe depuis les années 1960 un nouveau modèle : le stade Vert ou pluraliste. Ce dernier recherche d’abord à établir des relations harmonieuses et égalitaires au sein de l’organisation, avant de considérer la productivité et le profit. Cette vision du monde se représente l’entreprise comme une famille, dont les membres sont davantage que des rouages : c’est leur collaboration et l’ensemble qu’ils forment qui créent une véritable valeur ajoutée. Aussi faut-il privilégier le bien-être du salarié pour s’assurer du succès de l’organisation.

Cette vision holistique de l’organisation fonctionne sur le principe de l’autonomisation et de la centralisation : les salariés à la base de la pyramide hiérarchique disposent ainsi d’un pouvoir de décision accru, tandis que les dirigeants sont censés être au service de leurs salariés et fondent davantage leurs pratiques sur l’engagement et la motivation que sur la coercition. L’avancée majeure du stade vert est ainsi la culture des valeurs. Ces dernières fédèrent les salariés et créent un sentiment de fierté et d’appartenance remplaçant les règlements et politiques formels.

Si la pensée Verte imprègne le milieu universitaire post-moderne, la majorité des organisations politiques et commerciales se fondent encore aujourd’hui sur le modèle Orange. Pourtant, le management Vert ne se rencontre pas que dans les ONG et les associations à but non lucratif : de plus en plus d’entreprises classiques, à l’image de Southwest Airlines et Ben&Jerry’s se tournent vers ce nouveau modèle plus à l’écoute du salarié.

Malgré ses intentions louables, le modèle du stade Vert n’est toutefois pas exempt de contradictions. En particulier, les organisations Vertes cherchent à être égalitaires et à obtenir le consensus alors qu’elles conservent le modèle hiérarchique traditionnel du stade Orange. Concrètement, cela veut dire qu’il existe un hiatus entre les valeurs prônées par l’entreprise et la réalité de ses pratiques de management, source de frustration et d’incompréhension pour les salariés.

Malgré la prévalence actuelle de ces différents modèles d’organisation, de nombreux indices suggèrent que nous faisons face à l’émergence d’un nouveau modèle organisationnel.

🌱 Le stade évolutif ou l'appropriation : la vision Opale du monde.

Après avoir pointé du doigt les limites des modèles d’organisation précédents, l’auteur en vient à présenter celui dont il a pressenti l’émergence à travers l’étude de nombreux exemples d’organisations innovantes. Ce modèle nouveau, qu’il nomme vision Opale du monde, Frédéric Laloux le décrit comme un type d’organisation où l’individu peut s’épanouir et entrer en résonance avec sa justesse intérieure. Plutôt que se fonder sur l’opinion d’autrui ou les objectifs à atteindre, le collaborateur participe ainsi activement au développement de l’entreprise en exploitant son potentiel unique et sa nature véritable.

A première vue, cette définition peut certes sembler bien creuse et n’être qu’un énième guide de développement personnel, vide de sens.  Mais c’est en s’appuyant sur des exemples concrets d’organisations existantes que l’auteur parvient à se montrer convaincant. Nous développerons ici celui de l’entreprise Buurtzorg, qui a révolutionné le système de soins à domicile aux Pays-Bas. Jusqu’au XXe siècle, des infirmières de quartier de ce pays allaient voir les malades et les personnes âgées à domicile de façon indépendante. L’arrivée de la Sécurité sociale rationalisa ce système pour réaliser des économies d’échelle en adoptant le point de vue Orange : les infirmières furent intégrées à des structures plus grandes et se virent imposées une spécialisation des tâches et une organisation minutée de leur temps de travail. Si ce système permit à coup sûr de rendre le travail des infirmières plus “rationnel” et rentable, ni les patients ni les infirmières ne purent s’y épanouir car il imposait une vision mécanique et déshumanisé du soin. Un infirmier nommé Jos de Blok créa alors Buurtzorg en 2006, en décidant de se fonder sur un modèle de fonctionnement radicalement différent : en créant des groupes d’une douzaine d'infirmières sans chef, qui accompagnaient leurs patients sur le long terme et parvenaient ainsi à créer un réseau d’entraide pour que ces derniers soient moins seuls et dépendants, Jos de Bok parvint à mettre fin aux écueils du modèle précédent et à ré-humaniser le soin à domicile. Buurtzorg est aujourd'hui une réussite spectaculaire et réunit les deux tiers des infirmières à domicile des Pays-Bas, en faisant économiser des centaines de millions d’euros chaque année à la Sécurité sociale.

Loin de n’être qu’une spéculation, les organisations Opale existent déjà dans de nombreux secteurs et réinventent le management. Selon l’auteur, leur point commun est de considérer l’entreprise comme un organisme vivant, à contre-pied des métaphores de la machine et de la famille des modèles précédents : en permettant aux salariés d’évoluer dans une structure véritablement horizontale et d’exploiter leurs talents au mieux, ces organisations peuvent s’adapter naturellement en allant toujours vers davantage d’intégration. Les grands principes de telles organisations sont ainsi au nombre de trois : d’une part l’autogouvernance, qui permet de “transformer les hiérarchies pyramidales et bureaucratiques en système fluides et efficaces d’autorité distribuée et d’intelligence collective” ; d’autre part, la plénitude, les individus pouvant être en accord avec leur moi intérieur et exploiter au mieux leurs capacités propres ; et enfin la raison d’être Évolutive, par laquelle les membres sont invités à choisir activement la direction qu’emprunte l’organisation.


Une grille de lecture actionnable au quotidien

Frédéric Laloux propose ainsi une classification et une vision de l’histoire de la collaboration humaine, qui semble aller vers toujours plus d’intégration et de prise en compte des aspirations des salariés. Si une telle typologie peut parfois agacer par son manque de rigueur et sa vision téléologique de l’histoire, elle a néanmoins le mérite de proposer des alternatives à un système dont nous constatons aujourd’hui les limites.

Plus proche de nos enjeux opérationnels, il est intéressant de remarquer l'alignement de certains stades d'évolution décrits pas Laloux avec les 4 grands modèles d'organisation d'équipe dépendant de l'organisation dans laquelle elle se trouve mais aussi de la personnalité de ses membres mais aussi du contexte dans lequel elle évolue.

Si vous vous demandez comment appliquer certaines bonnes pratiques, nous vous invitons à faire de rapide quiz pour définir le style de management de votre équipe.

Si vous souhaitez découvrir les autres exemples d’entreprise Opale et comprendre comment transformer votre entreprise en organisation Opale, il faudra vous plonger dans le livre ou dans cette conférence. Nous espérons vous en avoir donné l’envie !

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